L’impressionnante localité de Granadilla se situe au sommet d’une colline qui forme une avancée surplombant le barrage de Gabriel y Galán, auquel elle doit le dépeuplement qui en a fait un village fantôme. A ce jour, Granadilla n’a plus guère d’habitants : ils s’en sont allés et n’y peuvent revenir qu’en visiteurs, marqués par l’impuissance, le déracinement, la tristesse et l’exil, hantés par le souvenir d’avoir été obligés à laisser derrière une vie entière en quittant leur village, pour aller vers l’inconnu.
Considérée comme la troisième localité la mieux fortifiée d’Espagne (après Ávila en Castille-et-Léon et Lugo en Galice, tous deux inscrits au Patrimoine mondial de l’Unesco), Granadilla se distingue de celles-ci en ceci qu’elle ne s’est jamais développée hors-les-murs : la superficie intramuros était suffisante pour accueillir les constructions qui s’y sont développées.
A sa fondation au IXe siècle, la localité se nommait Granada : son nom ne changea qu’à l’issue de la Reconquista, pour devenir Granadilla, afin d’éviter la confusion avec la ville andalouse. A travers son histoire, le territoire de Granadilla a connu divers propriétaires, notamment la Maison nobiliaire d’Alba, avant de devenir, à l’heure actuelle, propriété de la Confédération hydrographique du Tage (Confederación Hidrográfica del Tajo ) à la suite de son expropriation et de l’évacuation de ce village médiéval.
Quelque 250 habitations formaient le village, structuré autour d’un axe principal allant d’une porte à l’autre de la fortification, ayant pour centre névralgique la place centrale d’où rayonnaient les différentes rues. Dans les années 1950, à son apogée démographique, le village comptait quelque 1125 personnes, se consacrant à l’agriculture (principalement la culture des céréales et des olives) et à l’élevage de brebis et de chèvres. Chaque année, se tenait une fête patronale le 15 août en l’honneur de la Vierge de l’Assomption, ainsi que d’autres fêtes religieuses, fêtes populaires et carnavals, en dépit de leur interdiction par le régime franquiste. La Grand Messe, la fête nocturne et la danse sur la place du village en représentaient les moments phares, au son de la musique du groupe du village. Les musiciens jouaient souvent les dimanches et jours de fête, et lors des mariages qui étaient occasion de fête au village : ils accompagnaient alors le futur marié jusqu’à l’église et, lors de la messe, jouaient l’hymne national au moment de l’élévation de l’hostie.
Ainsi se déroulait la vie à Granadilla, comme dans n’importe quel autre village d’Estrémadure, la population se réunissant le dimanche sur la place du village, centre de la vie quotidienne, où les hommes se rencontraient au café-bar Angelito tandis que d’autres jouaient à la pétanque, où les garçons jouaient au football et à saute-mouton et les filles à la corde à sauter… jusqu’à la fatidique année 1955, où fut adopté le décret d’expropriation forcée de la majorité des terres cultivables de Granadilla pour la construction du barrage artificiel de Gabriel y Galán.
Ce fut un coup de massue pour la population : la décision du Conseil des Ministres du caudillo Franco ôta au Granadillains par la force leur moyen de subsistance… Si bien qu’ils choisirent de louer à la Confédération hydrographique du Tage leurs propres terres, dont ils s’étaient vus expropriés – faute d’avoir d’autre moyen de subsistance. Il en fut de même pour leurs maisons, qu’ils durent louer après en avoir été expropriés en 1964-1965, et qui ne leur furent pas indemnisées complètement avant 1972, en raison d’évaluations tardivement et mal effectuées. A cette injustice se surajoutaient les manières brutales des forces vives du régime franquiste qui harcelaient les plus rétifs à partir.
La moitié des familles du village choisit de s’installer au nouveau village de Alagón del Río, a quelque 60 km de Granadilla, où ils rencontrèrent des difficultés d’adaptation ; le reste des familles s’est disséminé dans toute l’Espagne : Catalogne, Pays basque, Madrid, Salamanque ou dans le village voisin de Zarza de Granadilla. En 1966, ce village médiéval était totalement vidé de ses habitants : un village fantôme.
Lors de leurs dernières années sur place, les habitants de Granadilla ne connurent pas les nouveautés techniques de la modernité : lumière électrique, eau courante, téléphone, route d’accès, etc. Quel intérêt, en effet, pour l’Administration d’investir dans des infrastructures, puisque le village était condamné à mort ?
C’est le 29 mai 1965 que fut publié le décret causant la dissolution de la commune de Granadilla et l’annexion de son territoire, divisé, aux deux communes voisines de Zarza de Granadilla et Mohedas de Granadilla. Le vieux cimetière a été englouti par les eaux du barrage, tout comme les ponts qui enjambaient le fleuve Alagón et la rivière Aldovara. S’ensuivit une période de vols, de vandalisme et d’abandon.
En 1980, soit une quinzaine d’années après la fin de son évacuation et cinq après la fin du franquisme, le village fut déclaré « Ensemble historico-artistique » (Conjunto histórico-artistico), décision tout de même tardive pour un village médiéval fortifié. En 1985, le Ministère des Œuvres Publiques, de l’Agriculture et de l’Education (Ministerio de Obras públicas, Agricultura y Educación ) choisit Granadilla, ainsi que Búbal (Aragon) et Umbralejo (Castille-la Manche), dans le cadre du Programme de Restauration et utilisation éducative des villages abandonnés (Programa de Recuperación y Utilización Educativa de Pueblos Abandonados (PRUEPA)), lequel est encore en vigueur à ce jour. Ce programme, qui existe encore à ce jour, a pour objectif, en mobilisant des jeunes étudiants de tout le pays, de les faire vivre au contact du monde rural et en leur confiant des travaux de restauration (jardins, murs…). C’est en 1990 que débuta le projet ; depuis lors, de nombreux bâtiments de la rue principale de Granadilla ont été restaurés, ainsi que la place, qui accueillent diverses activités.
Les Granadillains qui furent expropriés, ainsi que leurs descendants, se réunissent deux fois l’an en souvenir. Ils ont la liberté de se déplacer dans tout le village le 15 août (jour de l’Assomption, la Vierge de l’Assomption étant la patronne du village) et le 1er novembre (Toussaint).
Informations pratiques
En dehors du 15 août et du 1er novembre, il est permis de visiter le village de 10h à 13h et de 16h à 18h (20h en été). Fermeture le lundi.
Texte de Faustino Calderón (adapté de l’espagnol par Mikaël Faujour, avec l’accord de l’auteur.
Source : Los Pueblos deshabitados)
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Il y a 2 commentaires
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C’est assez insolite en effet. Tout un village abandonné! Je crois bien que c’est la première fois que je lis un article du genre. Bon il faut dire que les villages abandonnés ne sont pas exactement mon sujet de recherche préféré! Sauf dans les cas où tous les habitants se volatilisent d’un seul coup! 😀
Il s’agit d’une histoire incroyable. C’est un très beau village en tous cas 🙂