Avec ses 110 000 kilomètres de voies (presque 3 tours du monde) le réseau des chemins de fer chinois est au centre de l’édification maoïste de la « Chine nouvelle ». Pas une grande ville qui ne soit raccordée, pas un paysan chinois qui ne l’ait emprunté lors des massives vacances du nouvel an lunaire. Ce réseau ferré est en partie vieillissant (53% du réseau est non-électrifié, avec des motrices au gasoil) mais en perpétuelle extension ; il offre une option économique à faible empreinte carbone à qui est veut s’adonner au slow travel. Il faut ainsi compter 48h pour traverser la Chine dans le légendaire Pékin-Kunming.
Mais n’est-ce pas là l’essence même du voyage ? À noter, ce guide se focalise plutôt sur les « vieux » trains (catégories T et K, les C, D, G et Z étant les trains à grande vitesse) que sur les TGV qui se sont multipliés ces dernières années en Chine.

Un train chinois à quai, septembre 2008
La gare
Les gares chinoises, construites dans la plus pure tradition communiste, sont représentatives de l’Empire chinois et de la psychologie nationale. Énormes bruyantes et intimidantes, elles sont néanmoins conçues pour faciliter les longues escales. Ainsi, l’eau chaude disponible gratuitement (comme dans les trains) vous permettra de préparer à volonté café/thé ou nouilles en sachets et nombre de supérettes proposent des produits locaux ou une restauration rapide.
Les toilettes sommaires mais vastes sont gratuites. Malgré cela, le grand effort « d’occidentalisation » des sanitaires dans le sillage des jeux olympiques de 2008 n’a pas touché les provinces les plus reculées et vous devrez parfois vous contenter de latrines séparées par un maigre muret voire… rien. Ce lieu d’aisance est pourtant partie prenante de la vie sociale chinoise et il arrive qu’un paysan rigolard vous tende obligeamment une cigarette alors que vous êtes occupé à votre bien organique besogne. De manière plus générale, les toilettes dans le réseau ferré sont dites « à la turque » et il convient de s’habiller en conséquence. Se méfier également des voleurs et ne pas hésiter à faire usage des consignes.
Les guichets sont directement accessibles après un passage obligatoire sous le détecteur de métaux à l’entrée de la gare. Dans les grandes villes, une file est prévue pour les non-sinophones avec un employé parlant quelques mots d’anglais et une signalétique adéquate. Sinon, vous devrez vous contenter d’une feuille préparée à l’avance qui décrira en pinyin votre destination et d’un peu de système D. Comme partout en Chine, la resquille dans les files d’attentes parfois longues est de mise et il faut savoir s’imposer (toujours avec politesse et sourire, sous peine de passer pour un rustre de Laowai).
L’attente à la gare, juin 2008
Le billet
Le billet de train, en Chine, est un sésame est de petite taille, rouge, et au format d’une carte de crédit. Nombre d’auberges de jeunesse et d’hôtels vous permettrons de passer commande de votre billet sans vous déplacer pour un prix très modique (officiellement 2€ maximum, parfois un peu plus) ce qui est fortement recommandé.
A noter : il est impossible de prendre un billet au départ d’une autre ville que celle où vous vous trouvez et au-delà de 15 jours à l’avance afin d’éviter les ventes à la sauvette et la présentation de votre passeport (et du visa) est requise. Sachez également que l’achat d’un billet sous le manteau peut vous valoir un court séjour en prison et une interdiction de territoire durable et que nombres de policiers en civils veillent avec vigilance au respect de la loi et de l’ordre publique. Particulièrement lors des congés nationaux (voir plus bas) quand les files se comptent en heures, voire en jours…
Pragmatiquement, les places sont classées en « dures » (une mince banquette en skaï ou même une planche de bois), molle (une fine banquette), en couchettes et en assis. Il est conseillé de prendre une banquette pour les trajets supérieurs à 4 heures, et en classe molle (l’équivalent du wagon-couchette de première) si vous souhaitez un minimum d’intimité (ou même une prise électrique, si vous êtes chanceux). Vérifier le numéro du train, la voiture et la place à l‘avance pour éviter les problèmes lors de la grande cavalcade de l’entrée du train en gare.
Le hall
Communautaires, les halls desservent plusieurs voies indiquées sur de grands affichages à côté du numéro du train. Les places sont chères et vous devrez souvent patienter assis sur votre sac, un café à la main sous les regards rigolards et curieux de vos compagnons de route. L’occasion de pratiquer un peu votre mandarin ou l’anglais approximatif de votre interlocuteur et d’être immortalisé en photo sur Renren, le Facebook local. La légendaire ponctualité des trains chinois ne se dément presque jamais et ceux-ci ne restent en gare que 5 petites minutes.
La grande course qui s’ensuivra vous permettra de mesurer les capacités de sprint de grand-mères vénérables et autres paysans portants des fruits sur des bambous.
Le train
Essoufflés et ragaillardis par cet exercice, vous serez admis sur présentation de votre billet dans le train où vous devrez aussi vite que possible déposer votre pesant sac à dos. Ce sera l’occasion de vérifier que votre kit de voyage en train est à portée de main.

Un vieux train en partance, septembre 2008
Sont conseillés :
– Des vivres (soupes en sachet, fruits, alcool, tabac et graines de tournesol, café ou thé) pour s’occuper la bouche. Nombre de Chinois profitent du voyage pour se taper une cuite en bonne et due forme et jouer aux cartes. Un verre de vin, une sèche de pays type Gauloise ou une tranche de saucisson sont autant de petits cadeaux qui permettront de nouer des relations prospères comme un verger du Guangdong ;
– Des loisirs (livres, tablette, musique, console de jeu, carnet de notes, jeux de carte et appareil photos) pour passer les longues heures qui vous attendent ainsi que du liquide pour vos frais. Bien recharger avant le voyage les appareils électroniques. Les grandes gares disposent souvent de la 3G qui vous permettra avec une carte sim chinoise de lire vos emails ;
– Un nécessaire hygiénique (brosse à dent, papier-toilette et protection périodique, espadrilles, serviette, boules quiès — indispensables ! — et lingettes ou savons individuels piqués à l’hôtel).
Cadenassez les sacs et rendez difficiles à atteindre vos biens de valeurs (liquide, passeport etc) pour éviter les vols (rares). Contrairement à d’autre pays d’Asie (Thaïlande, Malaisie, Cambodge) où il faut systématiquement refuser boisson et nourriture (sous peine d’être drogué puis dépouillé) le risque est inexistant en Chine. Un contrôleur par wagon (et oui !) veille à la tranquillité des voyageurs et à la propreté de la rame, et les voyageuses seules ne risquent pas d’être importunées.
Nombre de contrôleurs vendent toutes sortes d’objets pour arrondir leurs fins de mois (jouets, chargeurs de téléphone, cigarettes, domino et semelles orthopédiques) pour pas cher. Le service comprend des plateaux repas médiocres mais frais (un euro en moyenne) et des paysannes qui dans les provinces éloignées proposent une palette de produits (fruits, sauterelles grillées, riz dans du bambou, viande fumée et gnole locale). Se méfier des arrêts brefs si vous décidez d’acheter sur le quai ou de sortir.
Lors des voyages en couchette, la couchette du bas est utilisée le jour comme banquette commune ou rabattue (en première classe). Il convient donc de partager la place avec vos compagnons. Dans ce moyen de transport populaire par excellence, vous serez au contact de paysans sympathiques qui n’ont souvent vu l’Occident qu’à la télévision et d’enfants intrigués par vos cheveux colorés et vos vêtements bizarres. Apprendre quelques phrases pour dire d’où vous venez, ce que vous faite dans la vie et quelle est votre situation familiale sera très apprécié.

Couchette dans un train chinois, novembre 2011
Les fumeurs devront se rendre dans le wagon-restaurant et y consommer obligatoirement ou, à défaut, fumer dans l’inter-train ou le wagon même. Ce qui est théoriquement illégal mais rarement observé. Demandez au contrôleur avant.
Centre névralgique du train, le wagon-restaurant propose une cuisine fraîche et simple d’inspiration locale pour un prix modique au déjeuner et au dîner et des boissons et des snacks 24h/24. La bière fraîche se négocie ainsi 1€ et le poisson à la sichuanaise (très pimenté) ou le poulet aux cacahuètes entre 2 et 4 €. C’est le lieu où vous croiserez des militaires et officiels chargés de la sécurité (ou en déplacement) qui picorent leurs éternelles graines de tournesol en éclusant des petits verres de bières en Gambei (le tchin-tchinois).
Grisé par ce dernier verre de Baiju avec vos nouveaux amis et le cliquetis régulier des ballasts entrecoupé de ronflements qui vous bercent dans le ballotement du train vous êtes désormais prêts pour l’extinction des feux.
Le réveil (à l’aube) sera l’occasion de découvrir la merveilleuse musique d’ascenseur qui enchante le wagon (au choix : bande originale de Titanic ou musique traditionnelle). Celle-ci peut être coupée en appuyant sur le bouton situé dans la rame avec l’accord de vos compagnons. Il est parfaitement possible de traîner au lit mais l’agitation risque de vous électriser sans boules quiès. Titubant vers les éviers pour vous rafraîchir après un arrêt au distributeur d’eau chaude pour remplir votre tasse en fer blanc (l’eau froide est impropre à la consommation en Chine) de café ou de thé vert vous verrez des jeunes femmes laver leur long cheveux de jais au lavabo. C’est alors que vous constaterez brutalement en regardant à la fenêtre la beauté sauvage de la Chine et de ses montagnes et collines embrumées. Mais aussi sa surpopulation : pas un lambeau de terre qui ne soit exploite, et des hameaux dans la moindre vallée encaissée.

Au réveil, dans le compartiment couchette, septembre 2008
Alors, sans doute, vous réaliserez que le ronflement du voisin ou la conversation bruyante au téléphone qui vous a tiré du sommeil en pleine nuit n’étaient que peccadilles par rapport à cette plongée sans filet dans une Chine paradoxalement éternelle et changeante, agricole et moderne… Enfin, vous effleurerez ce que vous êtes venus chercher sans le savoir. Mais déjà dans un ultime crissement le périple s’achève.
Par ici la sortie
Gardez votre ticket, il vous sera demandé pour sortir de la gare. Le mouvement vous portera vers de vastes halls qui débouchent sur de longues files d’attente pour les taxis (recommandés car les taxis hors de celle-ci pratiquent des surcoûts) encadrés par des fonctionnaires zélés chargés de vérifier votre course et de parler au chauffeur. Dans certaines villes, un guichet vous donnera droit à un ticket que vous devrez présenter au chauffeur pour attester que vous avez payé. Autrement, le compteur n’est pas souvent utilisé dans les petites villes et vous devrez négocier à l’avance votre tarif si celui-ci n’est pas branché. Les san-li-tun (petits triporteurs) n’ont pas de compteurs et pratiquent parfois des prix scandaleux à Pékin. Une fois encore, négociez à l’avance sans compteur avant l’arrivée à l’hôtel pour une douche salvatrice.
Le cas particulier des vacances nationales
Le calendrier chinois impose aux fonctionnaires, étudiants et ouvriers, de passer leurs vacances en même temps. À cette occasion les trains sont littéralement pris d’assaut et les files d’attente dans les gares peuvent devenir redoutables et engendrer un stress considérable que peu d’Occidentaux supportent. Pinacle de cette transhumance globale chinoise : le Nouvel an chinois, qui s’étire sur plusieurs semaines. L’occasion pour les provinciaux de revenir au village festoyer avec leurs parents, de présenter le petit dernier ou de nouer de nouvelles et profitables relations d’affaire.
Il est formellement déconseillé de voyager lors de cette période critique qui constitue chaque année la plus grosse migration humaine jamais connue. Les prix des hôtels s’envolent, les arnaques sont nombreuses et les comportements induits par le stress rendent nécessaire le déploiement de forces de police malgré un trafic renforcé. Signe de la rudesse de ces congés, les personnes âgées sont équipées de couches pour faire face à des files d’attente de plusieurs heures pour les toilettes, les voyageurs dorment en boule sous les fauteuils de deuxième classe et l’achat d’un fauteuil pliant est recommandé.

Gare bondée, juin 2008
L’auteur de ce guide conseille donc aux voyageurs de privilégier une villégiature dans un endroit sympathique à la campagne (pour faire la fête et décompresser) ou en ville (pour les feux d’artifice spectaculaires qui durent une semaine) afin de s’imprégner de cette période très particulière. Ou, si se déplacer est absolument nécessaire, de prendre l’avion en réservant très longtemps à l’avance son billet.
Le train chinois en chiffres
- 110 000 kilomètres de voies en 2012
- 19 431 locomotives (en 2011) dont une centaine à vapeur (pour les sites touristiques)
- 500 kilomètres : la distance moyenne d’un voyage en train en Chine
- 52 km/h : la vitesse moyenne d’une motrice à gasoil
- 452 yuans (env 50 euros) : le prix d’un Pékin-Kunming en deuxième classe couchette
- 225 : le nombre de voyageurs dans un wagon de 118 places au nouvel an lunaire sur la ligne Chongqing-Panzehua
Liens
- Seat 61, site de référence sur les voyages en train (en anglais) régulièrement mis à jour ;
- Trains China et Travel China Guide : horaires et lignes de train (anglais). Vérifier les deux (problèmes de mises à jour) ;
- Préférer l’achat en gare ou de votre hôtel aux paiements en ligne, risqués en Chine, qui nécessiteront de plus une livraison physique (pas de e-ticket) ;
- La carte du réseau des chemins de fer chinois en pinyin et chinois simplifié.
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Il y a 8 commentaires
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Cela me rappelle mes séjours en Thaïlande, j’ai déjà pris le train pour aller à Chiang Mai et à la frontière du Laos (Nong Kray).
Le service est nikel, il ne faut juste pas être à cheval sur les horaires. Faire aussi super attention à la date où vous comptez voyager. Évitez aussi les périodes de fêtes nationales.
Et comparé aux trains indiens ça donne quoi ? Je ne connais pas les trains chinois mais le gigantisme du réseau ferroviaire me rappel vraiment celui de l’Inde. Sauf qu’en plus en Inde, le chaos ambiant des grandes villes indiennes fait que ce chemin de fer qui fonctionne plutôt bien (avec des retards certes …) ressemble un peu à un miracle. Et rien de mieux pour faire de belles rencontres qu’un voyage en train de 30 heures dans la promiscuité d’une place en classe « dure » 😉 Pas de tout repos certes mais quel voyage…
Le train en Chine est une véritable aventure!
Dès la réservation des billets d’ailleurs 😉
En effet, ça se modernise beaucoup et sur les grandes lignes, ce sont des très assez récents.
Je garde tout de même un souvenir particulier du train, notamment sur un trajet en train couchette où une des personnes de ma cabine ne cessait de cracher sous son lit 🙁
Ah souvenir, souvenir… On trouve vraiment de tout en Chine: en rentrant d’un week-end au ski, j’ai pris un train lent, chauffé avec de vieille chaudières à charbon. Pour Beijing/Xi’An (1 200 km) et Beijing Hong-Kong (2 300 km), le train était similaire à un train corail en France, tant au niveau du confort (couchette) que de la vitesse (100 km/h). le prix était béton par contre: compter environ 30 euros pour 1 200 km en couchette, ou 30 euros le pékin/HK en siège dur.
A l’inverse, les TGV foncent. Comptez 4h45 Beijing/Shanghai (1 300 km), avec WiFi et prise électrique à bord.
Par contre, il faut penser à réserver longtemps à l’avance, car si vous attendez le dernier moment, il y a de fortes chances que les trains soient completement remplis ou qu’il ne reste que des tickets de couchette molle, la plus chere, ou des sièges durs, les moins confortables…
Merci pour ces précieuses infos, c’est un peu difficile de s’y retrouver dans les trains chinois depuis l’étranger !
Pekin-Kunming 50€ : imbattable !
Sympa ton article. C’est très intéressant, il parait effectivement que la réservation du billet est un peu complexe. Le train est un bon moyen de voyager sans perdre de temps si l’on dors dans des trains couchettes. bon moyen de transport.
Une des photos montre ce qui semble être un petit déjeuner dans un compartiment couchette molle, en septembre 2008.
Je voudrais savoir si ce PD était gratuit ?
Y a t il encore des repas gratuits dans les trains de nuits T ou K ?
Merci de l’information.
Bonjour BUI
A ma connaissance je n’ai jamais vu de petit déjeuner gratuit dans les trains chinois à l’époque. J’ai toujours ramené mes nouilles instantanées ou utilisé le wagon-restaurant.
Il y a en revanche un samovar (dans les trains vraiment vieux) ou une bouilloire pour se faire son thé ou son café ou ses nouilles, et les villageoises vendaient parfois des baozi (pains chinois fourré) ou des fruits sur le quai. A vrai dire j’ai toujours profité de l’occasion pour ruminer du boeuf seché, ca occupe les dents pendant le trajet.