Tourisme écologique et communautaire à El Chiflón (Chiapas) : méfiance !

Au sud du Chiapas, près du « village magique » Comitán de Domínguez, se situe le parc écotouristique d’El Chiflón : un beau parcours dégagé dans la forêt, sept cascades, dont quelques-unes très spectaculaires : un endroit à peu près idéal de randonnée et de détente dans la nature… « A peu près » seulement, car derrière l’étiquette du « tourisme communautaire », nous découvrons un revers qui gâche quelque peu la découverte de ce lieu magique.

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Fin juin, mon ami Marco et moi, tous deux installés au Guatémala (lui à Xela, moi à la capitale), décidons de prendre des vacances bien méritées. Envie de grands espaces, de senteurs naturelles, de randonnée : ce sera une excursion au Chiapas. Direction, donc, la pittoresque Comitán de Domínguez, « village magique » (selon l’appellation officielle mexicaine visant à valoriser touristiquement les petites villes et villages), dont l’intérêt principal est d’offrir dans un rayon de 100 km de nombreuses promenades et visites (écotourisme et sites archéologiques). Renseignements pris, sur Internet et à l’Office de tourisme local, nous nous décidons pour les cascades d’El Chiflón, d’abord, puis pour les lagunes de Montebello, un ensemble de quelque 52 lacs et lagunes.

Je reparlerai plus tard, ici ou bien ailleurs, de notre excursion à Montebello et de ce que pour le meilleur et le pire elle nous a inspiré ; mais ici, je m’attarde sur El Chiflón, lieu présenté comme « centre écotouristique » et dirigé par une société coopérative. A priori, c’est là pile-poil ce qui correspond à nos convictions, en faveur de la protection de l’environnement et en faveur d’une gestion par les locaux eux-mêmes des ressources du tourisme. Sauf que voilà, derrière l’étiquette, la réalité ne se présente guère aussi claire et enthousiasmante.

Le centre écotouristique El Chiflón et sa chaîne de cascades

Quelques recherches sur Comitán et on tombe bien vite sur El Chiflón. On jette un œil et « Wow, diabolus ! », quelques photos achèvent de nous convaincre : « allons-y ! ». Et nous y allons. Les photos sur le Net laissent imaginer des eaux bleues ultramarines : sauf qu’en juin, l’eau est plutôt trouble (elle est d’un bleu azur seulement durant la saison sèche, c’est-à-dire novembre-avril, grosso modo). Qu’à cela ne tienne : ça sent la fraîcheur et la vie, le climat est clément et les moustiques en congés, la randonnée très plaisante donc, se ponctue de vues spectaculaires. 

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« Diabolus ! Quelle vue spectaculaire ! », s’exclame le lecteur

Indeed, dans les limites de ce centre touristique, quelque sept cataractes rythment le cours du río San Vicente ; la plus spectaculaire est la magnifique cascade Velo de Novia (« Voile de la Mariée »), située au bout de la promenade : 120 mètres de hauteur. Face au pied de la chute d’eau, un promontoire d’où vous pourrez contempler la bête, les semailles d’arc-en-ciels dispersés aux quatre coins de l’humidité, et recevoir une rafraîchissante douche de gouttelettes.

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Est-ce Marco qui se douche sous la cascade ou la cascade qui se douche sur Marco ? Les experts sont divisés

Nous y sommes passés un mardi, assez tôt le matin, jouissant du luxe d’être parmi les premiers. Un avantage de voyageur est de pouvoir parfois voir le revers de ce que la majorité voit. Ainsi, ce lieu familial de détente de fin de semaine révèle une facette légèrement fantomatique, avec ses tables et barbeucs de pique-nique, qui doivent grouiller de vie et de joie chaque ouicainde. On constate que les aménagements sur les rives du San Vicente sont plus ou moins réussis : les sentiers et les lodges tout de béton… déparent un peu. Dans le genre écotouristique et habitat « intégré », on aura fait mieux… A l’entrée du parcours, diverses boutiques vendent les habituelles cochonneries en sachets dont le succès se mesure au colossal tour de taille des Mexicains (1/3 de la population obèse, 70% en surpoids).

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Amenez vos saucisses et vos charbons : ça va devenir vrai pour quelques instants, comme disait Roi Heenok

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Rien de tel qu’une « cabane » en béton pour communier avec la nature et la matière vivante

Après la balade qui nous a conduits jusqu’aux 120 mètres du « Voile de la Mariée », un pique-nique de toute légèreté à base de pain, de fromage et d’olives – et nous repartons sur le sentier pour une grimpette jusqu’à la dernière cascade, plus en amont. L’affaire est plus sportive et se mesure au demi-litre de sueur que le soleil se chargera d’essorer chemin faisant. Au passage, des « vues de ouf », somme toute. Jugez par vous-mêmes.

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Le Voile de la Mariée, vu depuis le chemin

Et nous arrivons à la dernière cascade du parc : la Quinceañera (« adolescente de 15 ans »), lieu paisible – où ne s’aventurent que quelques-uns des visiteurs, les moins pressés sans doute. Là, nous rencontrons un gardien, qui du matin au soir fait le pied de grue, essentiellement pour éviter que des inconscients descendent se baigner dans les courants qui risqueraient de les conduire aux 120 mètres et à une destinée de steak haché humain.

La cascade Quinceañera. Au fond, bien sûr. A droite, ce n'est pas une cascade.

La cascade Quinceañera. Au fond, bien sûr. A droite, ce n’est pas une cascade.

 

Les dessous des cartes du tourisme communautaire

On discute un peu, un quart d’heure, vingt minutes… Et cette rencontre nous porte à cogiter car, de fil en aiguille, on réalise que ledit Monsieur (pardonnez-nous, lecteurs pleins de mansuétude, d’avoir oublié son nom)… 1. n’est pas membre de la communauté qui gère le centre touristique (souvenez-vous : il s’agit de tourisme communautaire) ; 2. que ladite communauté est détentrice du capital, mais qu’elle emploie des gens extérieurs à celle-ci ; 3. que ces derniers sont, tout comme lui, précaires : salaire médiocre à peine supérieur au salaire horaire légal, et travail une semaine sur deux. Laurence Parisot et le Medef auraient sûrement approuvé ce sens de la « modernité » et de la « flexibilité », comme on dit chez les néolibéraux. Autrement dit : notre cher Monsieur est un employé d’une société coopérative (26 socios la fondèrent en 1999, si l’on se fie au prospectus de présentation), qui le paye pour bosser deux semaines complètes (7 jours) par mois, alternant donc avec des semaines non moins complètes aux champs – puisqu’il est paysan. Ne parlez pas de syndicat (crainte du renvoi oblige), ni de vacances et de congés payés (connaît pas).

Si bien qu’au total, on repartira, certes enchantés du lieu, mais le plaisir comme gâté par cette évidece du contraste entre ceux qui, comme nous privilégiés, disposent du capital pour voyager et d’un héritage de lois sociales permettant de jouir de vacances, voire de s’expatrier pour des mois… et ceux qui, comme lui, jamais de leur vie n’accéderont à ce luxe qui ne nous semble même pas en être un. Deux mondes se croisent : des touristes viennent là du monde entier, croiser sans le savoir des gens comme destiné à une forme modernisée et soft de servage qui, eux, ne quitteront peut-être jamais leur région.

On se dit – mais il est alors déjà trop tard – qu’à tout prendre, en visitant ce lieu (ou d’autres analogues), qui mérite(nt) vraiment d’être visité(s) et offre(nt) le privilège de la sécurité, donner un petit pourboire à ces gardiens mal payés et précaires serait une dépense plus utile que celle de chips ou de sodas auprès de commerçants eux-mêmes soumis au même régime.

Un tourisme communautaire peut en cacher un autre : un tourisme dont les travailleurs sont banalement des exploités. Constatant l’impossibilité de se fier aux étiquettes supposant un tourisme alternatif au tourisme de masse, nous ne pouvons donc qu’envisager à l’avenir d’être aussi curieux que possible en interrogeant les employés locaux… et inciter les voyageurs à faire de même. Ça mange pas de pain, et ça permet aussi de mieux comprendre les réalités et les duperies de l‘industrie touristique.

Vue sur le Voile de la Mariée

Vue sur le Voile de la Mariée

 

Infos pratiques

L’entrée au parc coûte 30 Pesos (moins de 2€), ce qui inclut le parcours des cascades et tout ce qui s’ensuit : visite du musée (une succession de panneaux sur l’histoire et les spécificités du lieu), l’observation des iguanes, la baignade dans la rivière, le parking et, natuurlijk, les chiottes.

Il est possible de dormir sur place : les « cabanes » (en béton) affichent des tarifs de 400 (chambre avec lit double) à 900 Pesos en période basse, et 450 à 1000 Pesos en période haute.

Un restaurant, des boutiques et autres points de vente de boissons rafraîchissantes ponctuent le parcours. Il est possible aussi de faire de la tyrolienne d’une rive à l’autre, peu avant l’arrivée à la cascade du Voile de la Mariée. Il vous en coûtera une somme un peu plus rondelette de 150 Pesos (si mes souvenirs sont exacts).

 

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Il y a 6 commentaires

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  1. Laurent

    Ce genre « d’incompatibilité » entre une « noble mission » semble arriver plus d’une fois malheureusement. Ce n’est pas dans le monde du voyage, mais il y a par exemple une polémique actuellement en France à propos de Daniel Mermet (présentateur de Là Bas si j’y suis sur France Inter), éternel défenseur des victimes de la mondialisation. Et bien il semblerait que le monsieur traite ses collaborateurs d’une manière un chouia autoritaire. Mais bon, connaissant mal les tenants et les aboutissants de cette affaire, j’éviterai de trop prendre parti.

    • Mikaël

      Bonjour Laurent.

      J’ai pas suivi de près l’affaire, mais François Ruffin, qui me semble le meilleur journaliste français à l’heure actuelle, qui a un temps travaillé avec/pour Mermet, brosse « de l’intérieur » un portrait plus nuancé.
      http://fakirpresse.info/Mes-annees-Mermet.html

      Je vous invite à le lire (cet article, bien sûr, mais plus généralement tout ce qu’a fait Ruffin : livres, articles, revue Fakir, enquêtes pour divers médias…).

      Concernant le Chiflon, ce n’est qu’un exemple, mais il est loin d’être isolé. Dans les limites de nos possibilités, nous tenterons de reparler de cas analogues à l’avenir. Il est évidemment difficile d’en savoir bcp, car le salaire des employés d’un lieu touristique… est une chose à quoi un touriste ne peut accéder. J’avais demandé s’il était possible de voir les feuilles de salaires des employés de l’hôtel Isla Verde, du lac Atitlan : c’est à l’employé de la réception que j’avais affaire. Il me semblait sceptique. N’ayant vu la proprio que furtivement, j’ai totalement oublié de lui poser la question. Dans ce cas, en revanche, ce qui état sûr c’était que les employés venaient des villages voisins, qu’ils avaient des horaires de travail décents (8h/jour). A en juger par la gaieté qui régnait dans la cuisine, l’atmosphère n’avait rien qui évoquât la tyrannie patronale ; du reste, la patronne passait la majeure partie de son temps hors du lieu…

      J’invite seulement les voyageurs à se renseigner, à questionner, à être curieux aussi de la réalité sociale de ces lieux qu’ils sont enclins à croire plus nobles. Demander, ça mange pas de pain ; filer un petit pourboire non plus.

      A bientôt, Laurent.

      • Laurent

        Merci pour le lien vers cet article Mikaël, ça nuance en effet pas mal. De toute façon, il est assez rare que tout soit noir ou tout soit blanc. Mais c’est toujours plus vendeur de choisir un camp à 200% !! Plus de chance d’attirer l’attention ainsi …

      • Mikaël

        Merci à toi pour tes commentaires. Nous en recevons bcp qui sont seulement motivés par l’intéressement, à savoir placer un lien renvoyant vers le site de l’auteur — et que nous ne publions donc pas. Recevoir les tiens, qui questionnent, qui complètent, fait toujours plaisir.

        A très bientost,

        M.

  2. Fripon

    Il est bien ton site, c’est un truc qui manque.
    Il faudrait faire un nuage de blogs ou je ne sais quelle autre idée autour d’un « autre tourisme »,
    Mais par exemple pour ce voyage au Mexique tu as pensé tout simplement à l’impact CO2 de ton voyage en avion pour y aller ?


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