(Ce guide a pour vocation de vous éclairer sur les modalités du marchandage en Asie. Il se présente sous la forme d’une foire aux questions à destination des touristes éclairés en Asie.)
En Asie, beaucoup de choses se négocient. Il est possible de flâner et d’observer les locaux pour se faire une idée. Les guides de voyage peuvent vous éclairer. Vous pouvez interroger un acheteur sur la valeur de ce bien fraîchement acquis.
Mais n’oubliez jamais que vous êtes ici un étranger. Oui, le vendeur connaît votre niveau de vie. La télévision, le cinéma ou les informations lui ont dressé un portrait erroné mais extensif de votre pays. Vous êtes riche car occidental. Vous venez d’un pays imaginaire : l’Occident. Son portrait est terriblement détaillé : un El Dorado qui fait rêver. Vous n’êtes pas un pigeon mais ce riche voyageur venu les poches pleines de devises avec sur lui le parfum d’un ailleurs meilleur que cet ici qui sent la misère, l’urine et la déchéance.
Ne cherchez jamais – JAMAIS ! – à le nier. Rien n’est plus pathétique qu’un touriste se disant désœuvré en Asie. Les questions d’argent ne sont pas taboues en Asie. Ici, plus qu’ailleurs, on fait semblant. Et si l’on est démasqué, on s’offusque. Vous portez sur vous la réussite d’être bien-né. De manière générale, une allure soignée vous attirera aussi plus de respect qu’une tenue débraillée, provocante ou négligée. Trop de jeunes voyageurs choisissent par romantisme exotique de devenir des véritables caricatures de baba cool. Malheureusement, ces visiteurs-là ne liassent pas vraiment une bonne impression en Asie.
Vous pénétrez dans l’échoppe et la vendeuse vous interpelle… dans sa langue
Evitez le syndrome tour de Babel en vous préparant. La langue est un obstacle. Elle limitera vos interactions. Les voyageurs de longue date apprennent à devenir d’excellents mimes. C’est l’occasion aussi de décontracter l’ambiance avec votre jeu d’acteur qui fera souvent rire.
Il est essentiel d’apprendre quelques phrases simples telles que « Combien coûte cela ? » ou « C’est trop cher », pour se faire comprendre un minimum. Une connaissance rudimentaire de la manière de compter est aussi importante. Une autre possibilité est de demander à une personne d’écrire ou ce que vous souhaitez spécifiquement. Si votre interlocuteur ne prend pas la peine de regarder le papier, c’est peut être car il ne sait pas lire et est embarrassé. Si vous achetez des médicaments, des produits de santé ou autres, veillez systématiquement à confirmer la posologie ou le mode d’emploi. Et ce, auprès de plusieurs personnes si il le faut. Méfiez-vous du packaging, dont les normes changent suivant les pays (la lessive japonaise ressemble au lait en poudre).
Si vous êtes allergique ou souffrez de problèmes médicaux ayez en permanence sur vous votre traitement (et l’ordonnance) ainsi qu’une description détaillée de votre pathologie. Si vous achetez un bien électronique (lecteur DVD, téléphone), n’oubliez pas de demander de changer la langue et d’acquérir un adaptateur et/ou un jeu de batteries de rechange. On trouve à l’heure actuelle d’excellents traducteurs en ligne gratuits comme Babelfish. Pas besoin de savoir écrire thaï ou japonais : une simple photographie au téléphone portable du texte traduit sur l’écran vous sera utile. Gardez en permanence la carte de votre hôtel pour les taxis.
Le juste prix
L’iPad est flambant neuf et vous semble authentique. La vendeuse annonce son prix : 650 € : c’est plus cher que sur eBay
Contrairement à une idée largement répandue, tout n’est pas moins cher en Asie. L’informatique, le high-tech, est ainsi systématiquement 30% plus cher en Chine (où ces produits sont souvent assemblés) qu’en Europe, de par une taxe à hauteur de 30%. A l’exception notable de Hong-Kong (et ces vendeurs chevronnés de Kowloon qui pratiquent des prix scandaleux), le pays où ce type de produits est le moins cher est incontestablement… les États-Unis. Mais des exceptions locales existent pourtant.
Telle grande enseigne d’appareils photo est basée en Thaïlande, telle marque d’ordinateurs est produite à Taïwan ou en Corée du Sud, ce qui entraîne des prix avantageux. Parfois la géopolitique ou le climat changent les prix : un tremblement de terre, une situation sociale tendue ou un typhon peuvent perturber les flux de marchandise et causer des hausses brutales. Les biens et services susceptibles d’être moins chers sont le textile sur mesure ou non (particulièrement au Vietnam, en Chine, en Thaïlande en Inde et au Bangladesh), le mobilier (Chine, Inde, Thaïlande, mais attention aux frais de transport !), les services médicaux et les médicaments (Thaïlande, Inde et Malaisie sont les Mecques du tourisme médical). Sans compter les véhicules (Chine, mais la plupart des véhicules n’y sont pas homologués pour les routes occidentales), l’outillage, l’artisanat, certains services, les matières premières (tissus, pierres et peaux, mais gare aux arnaques !) et les produits agricoles.
De manière générale, plus le niveau technologique est bas, plus les prix sont intéressants. Les standards européens comme l’ISO sont cependant rarement respectés et, dans certain cas (produits qui nécessitent une fiabilité parfaite : parachute ou extincteur), il vaut mieux payer pour de la qualité. Se renseigner donc sur les prix pratiqués chez soi.
Sur la contrefaçon
Vous posez des questions sur l’objet. Elle rigole avant de vous dire : « This is real Nike. Good quality ! »
La contrefaçon fait des ravages en Asie. On trouve sur les marchés toutes sortes de marques et de produits. A moins d’être situé à proximité d’une usine du Guangdong (Chine), qui pratique le déstockage, l’authenticité du produit est systématiquement douteuse. Acheter une contrefaçon en Asie vous expose à de sérieuses complications de retour au pays.
La qualité de tel t-shirt vous mettra la puce à l’oreille. Ses coutures sont-elles fiables ? Cet insigne « Laccoste », « Lacauste » ou « La coste » (sic) est-il véridique ? Parfois, le vendeur partira d’un prix occidental pour une marque occidentale. Un coup d’œil exercé et expert (même si vous ne l’êtes pas) dissipera tout malentendu. Dans l’absolu, l’auteur de ce texte vous déconseille d’acquérir tout objet présentant une infraction au code de la propriété intellectuelle. Paradoxalement, les soldes en Occident proposent des affaires souvent plus intéressantes qu’en Asie pour les marques. Et cette fausse paire de chaussettes ou ce caleçon « Ugo Boss » a probablement un équivalent dégriffé de valeur bien moindre.
Vous pouvez trouver ici plus d’informations sur les ravages de la contrefaçon et sur les risques auxquels vous vous exposez.
Combien vaut votre temps ?
Le bibelot coûte 2€. La vendeuse renchérit : « Good price, for you ! ».
Vos vacances ont un prix. Entre le voyage, l’assurance, les frais et la nourriture, le tourisme est par essence déficitaire. La vendeuse veut 2 euros ? Vous pourriez sans doute diviser par deux ce prix. A combien estimez-vous votre « salaire » en Asie ? A combien estimez-vous ce temps que vous pouvez passer à découvrir des temples magnifiques, à vous faire masser ? Ou tout simplement à vous imprégner du Zeitgeist d’une autre culture ? Cette demi-heure sous la pluie, sous un soleil de plomb à marchander, est-elle gâchée ou pertinente ? Si cet Euro est quintessentiel pour vous, faites une ultime offre et partez. Cette négociation ne sera jamais le temps fort de vos pérégrinations. Elle sera par contre peut-être la garantie d’un repas chaud pour votre interlocuteur. Vous êtes seul juge, mais ne gâchez pas vos vacances.
Certaines choses ne se négocient pas
La vendeuse rigole, gênée : « This is good mangos. You buy ? »
Les fruits, la nourriture au restaurant, la bouteille d’eau dans une grande surface. Le voyage dans cette agence ou l’entrée dans un musée ne se négocient, d’habitude, pas. Ne vous embarrassez pas inutilement. Les arnaques sont possibles. Par définition, ce qui ne se marchande pas est sujet à la concurrence. Vous trouverez peut-être mieux et moins cher à quelques mètres. Ce vendeur n’a peut-être pas l’autorisation de négocier une ristourne. Les indépendants sont plus enclin à marchander que les salariés.
Le doux commerce
La vendeuse semble contrariée : « You buy or you go away ! »
Parfois les meilleures intentions du monde ne mènent à rien. Votre interlocuteur a peut-être des graves problèmes financiers. Il a peut-être eu affaire à des étrangers désagréables. Le racisme – comme chez nous – est une réalité. Peut-être votre attitude est-elle déplacée ou votre offre insultante.
Si, malgré votre position de force d’acheteur, le commerçant est irrité, asocial ou même agressif, l’auteur vous conseille de passer votre chemin sans vous offusquer ou réprimander le malotru. L’agressivité dans le commerce en Asie est en effet beaucoup plus vulgaire qu’en Occident. Certains vendeurs ne souhaitent tout simplement rien vous vendre et vous ne devriez pas chercher à les enrichir. La meilleure réponse est dans ce cas un sourire suivi d’une retraite. Cette attitude est cependant rare.
De l’économie d’échelle
La vendeuse est très enthousiaste. En emballant son article elle vous glisse avec des airs de confidente : « I can give you better price if you buy ten »
L’économie est une affaire de proportion. Des bonnes affaires sont possibles si vous achetez plusieurs articles. Une ristourne de 50% à 100% pour une dizaine d’exemplaire n’est pas irréaliste. Si vous essayez d’acheter plusieurs choses, essayez systématiquement d’obtenir un prix de gros. C’est particulièrement vrai pour les vêtements souvent acheté en demi-gros et revendu avec une marge dérisoire en grande quantité. Méfiez-vous cependant des vendeurs trop empressés qui veulent vous refourguer tout leur stock car vous avez peut être commis une erreur de jugement. Dans ce cas si vous avez conclu une vente il est trop tard.
Combien vous me donnez?
La grand-mère est rompue à l’art de la négociation. Mutine, elle vous déclare : « You give a price, we discuss »
C’est LA question-piège. Vous jouez ici votre « face » en Asie. Donnez un prix extravagant et vous passerez pour un amateur. Le prix de départ sera votre limite : n’espérez jamais parvenir en-deçà. La seule parade est de connaître le prix du bien. Ce n’est pas toujours évident. Si plusieurs échoppes proposent le même article, contentez-vous de déambuler en demandant le prix d’un air détaché. Faites une moyenne qui vous servira d’étalon et revenez vers la meilleure offre.
On trouve également de tout sur des sites de vente en ligne et le prix sur eBay est un bon indicateur. Pour peu que vous connaissiez la qualité de l’article, vous disposerez d’une base. Parfois un simple « Dans mon pays cela vaut ce prix » ouvrira des négociations fructueuses. Il arrive que des vendeurs vous proposent spontanément un prix exceptionnel par sympathie ou volonté de vendre. Faire une offre inférieure vous discréditera à jamais. L’information est une arme : elle peut se retourner contre vous ou vous servir.
Souriez toujours !
Votre visage de joueur de poker intrigue la vieille dame. Pour détendre l’atmosphère elle vous lance « You very beautiful » en vous tapotant le derrière d’un air espiègle. Cette marque d’affection inattendue vous désarme, mais vous touche… Et vous avez raison !
L’agressivité vous dessert. Elle vous montre comme un être hideux qui ne maîtrise que mal la vilenie de son âme. Souriez ! Souriez encore ! Soyez sympathique ! Vous verrez des portes s’ouvrir. Apprendre à sourire face à une proposition insultante est un véritable effort d’abnégation. Ne perdez jamais vos moyens, ne vous énervez pas. Le contraire vous ferait passer pour un cuistre. N’hésitez pas à flirter et à entamer une conversation agréable. Elle vous permettra d’authentiques échanges conviviaux et laissera une bonne impression.
L’humour est très apprécié. Trop de touristes affichent des mines contrites en vacances. Vous êtes ici pour vous amuser et le marchandage est un jeu. Cette jolie vendeuse appréciera un clin d’œil sympathique et cette vénérable grand-mère rigolera si vous lui lancez du tac au tac « Vous êtes très belle aussi, quel dommage que je sois marié ». Ici, votre interlocutrice prendra votre boutade comme une marque de décontraction.
Le marchandage en Asie est une affaire de confiance avant tout. Combien de gens ont négocié une chemise pour au final gagner un ami ? Évitez en revanche le contact physique ou les propositions déplacées. Dans le cas des lectrices, sachez dire non si des effusions tactiles de sympathie vous mettent mal à l’aise. Soyez souriant(e) et convivial(e), sans familiarité excessive.
Savoir conclure
Après de longues palabres et mure réflexion, la vendeuse s’exclame « Okay »
Vous avez finalisé la vente. Une transaction acceptée est considérée comme déjà payée. Il est théoriquement trop tard pour faire marche arrière. Il est temps que l’argent change de main. Évitez les grosses coupures qui obligeront le commerçant à faire du change. Dans certains pays (Cambodge et Laos notamment) les billets raturés, usagés seront refusés.
Comptez soigneusement votre argent et restez vigilant relativement à la fausse monnaie. Parfois, la facture sera payante pour quelques pièces, ou l’on vous tendra une carte de visite en cas de pépin qui aura valeur de garantie officieuse. Ne cherchez jamais à négocier quelque chose qui ne vous intéresse pas, car c’est grossier de faire perdre son temps à votre interlocuteur. Si une relation de complicité s’installe, vous devriez également partager votre découverte avec d’autres voyageurs: un client satisfait et heureux est la meilleure publicité au monde.
Conclusion
Trop de touristes sont obsédés par l’idée de se faire avoir. Ce faisant ils se privent de belles rencontres. Pourtant, même les locaux font de mauvaises affaires… Il est possible de se préparer mais le « risque zéro » n’existe pas. On apprend de ses erreurs et vous serez sans doute plus alerte la prochaine fois. L’auteur de ce guide espère en tout cas que ces quelques conseils pratiques tirés d’années de vie en Asie vous aideront à profiter au mieux de votre voyage.
Pour toute question, commentaire ou récit de négociation en Asie vous pouvez me contacter ici : cmoidamien[@[hotmail. com.
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Il y a 4 commentaires
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Si les voyageurs lisaient tous cet article, ils ne pourraient plus dire qu’ils ne savaient pas…
Cet article est très complet et je partage tout à fait ce qui est écrit. L’un de mes meilleurs souvenirs est une longue négociation sur un marché au Cambodge qui s’est transformée en un ping-pong de fou-rires avec le vendeur ! Et ça ça vaut tout l’or du monde !
Je ne suis pas bien douée pour le marchandage, et lorsque j’étais encore « touriste », je le faisait peu, surtout pour 2/3€ pour un produit qu’en France les commerçants vendraient le triple…
En revanche, maintenant, embauchée par une entreprise thaï au salaire thaï, c’est un peu plus embêtant la plupart du temps d’être classée direct « étrangère = riche »… Et j’apprend petit à petit à négocier! En tout cas, je n’ai jamais rencontré de commerçants agressifs jusque là, j’ai eu de la chance je pense! Dans l’ensemble, ils sont vraiment sympas (à part quelques chauffeurs de taxi, mais vraiment des exceptions)
Entièrement d’accord sur le fait que trop de touristes sont obsédés par le fait de se faire avoir, le bon prix est celui qu’on est prêt à payer 🙂 j’ai du mal à pousser la négociation juste pour gagner quelques centimes !
[…] Le marché de Chatuchak ouvre le week-end. On y trouve de tout entre ses étals classés grossièrement par thèmes. Des vêtements bariolés à un prix imbattable, des poissons-chats japonais, des meubles et des gadgets, des statues de Ganesh le dieu élèphant, des ratons-laveurs moribonds, des bijoux, des lampes, des massages de pieds, des salades de foie au piment et des livres. Deux ouvriers entraînent leurs coqs au combat dans une petite arène en béton, un émigré congolais vend des améthystes brutes, des touristes s’essayent avec peine à la science subtile du marchandage. […]