Intervioù : le vélo, « le meilleur moyen de voyager »

Actuel directeur de l’Alliance française de Quetzaltenango (Guatémala) jusque juin, Joffrey Nanquette est aussi un grand voyageur, qui a parcouru diverses destinations sur quatre continents. Parce qu’il a pris l’habitude de voyager à vélo, nous l’avons interviouvé sur cette forme de voyage alternative. Pour lui, c’est bien simple : « c’est le meilleur moyen de voyager ».

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C’est à l’occasion de notre voyage en Amérique latine que nous avons rencontré Joffrey Nanquette. Jeune (28 ans) directeur de l’Alliance française de Quetzaltenango (Xela), deuxième ville du Guatémala, nous lui devons la réalisation de nos premiers ateliers de journalisme francophones, qui fut un succès. Au-delà de l’aspect professionnel, Joffrey a eu la gentillesse de nous héberger durant les 2 mois et demi de notre séjour sur place… et est vite devenu un bon copain. Nous avons donc eu tout le temps d’apprendre à le connaître, d’échanger avec lui sur ses nombreuses expériences à l’étranger, en tant qu’humanitaire, milieu contre lequel il a volontiers la dent dure et de solides arguments à l’appui, ou en tant que voyageur. Il nous avait parlé notamment d’un périple entre copains en Amérique du Sud… Et quelques semaines après notre départ du Guatémala, nous le retrouvions à Mazunte (village écotouristique de l’État d’Oaxaca), où il était de passage pour Noël, lors d’une excursion en VTT le long de la côte pacifique mexicaine. De retour au Guatémala, l’occasion est toute choisie pour interviouver notre copain.

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Joffrey, raconte-nous comment s’est organisé ton premier voyage à vélo en Amérique du Sud

Après un BTS de commerce international, je suis parti un an en Irlande. A mon retour, je suis entré à l’école supérieure de commerce et de développement de Lyon (ESCD3A) [les études combinent formation d’école de commerce avec une formation en sciences politiques et humaines spécifiques à l’Asie, l’Amérique latine, l’Afrique, ainsi que l’Europe de l’Est, NDLR]. Quand on y entre, on doit participer à un projet associatif. Le projet qui m’intéressait le plus était celui de l’association Cabine 13. Son objectif est de soutenir l’organisation de voyages non-motorisés dans un des continents en relation avec l’école : Asie, Afrique, Amérique latine. J’étudiais dans le cadre de l’option Amérique latine ; l’objectif était donc d’y organiser un voyage. Ayant intégré l’association, on a dû organiser des soirées pour récolter de l’argent, les recettes étant partagées entre les divers projets : vélo, roller, kart à pédales, voyage à pied…Nous, on voulait obtenir la triplette [vélo pour trois personnes, NDLR]. On a constitué une équipe, monté un projet pour lequel il fallait réunir 10 000€ en 6 mois. Notre projet était de passer dans un maximum de pays et de capitales, dans le cadre d’une étude sur le contraste entre villes et villages en Amérique latine. On s’est basé sur 5 pays : Argentine, Uruguay, Paraguay, Bolivie et Brésil. On a réussi à finaliser ce projet, puis, après les financements, il a fallu prendre en charge la logistique : envoyer le vélo, qui est très grand (plus de 3 mètres), se fournir en matériel, etc. Tous les 3, on n’était pas du tout cycliste. Physiquement, fallait être prêt… mais on ne s’est pas du tout entraîné, on est parti à l’arrache.

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Au bout du compte, quel est le bilan de ce voyage à vélo… et de cette étude ?

Ç’a été un gros challenge : notre objectif c’était 4000 km en 2 mois ; on a fait… 4004 km. C’était une boucle de Buenos Aires à Buenos Aires, en passant par l’Uruguay, le Brésil, l’Argentine de nouveau, puis le Paraguay, la Bolivie et l’Argentine.

Concernant l’étude, on s’est vite rendu compte que la problématique était trop complexe, que pendant le voyage on était trop fatigué et mal organisé. Notre projet est un peu tombé à l’eau : il n’était pas très pertinent. On en a surtout retiré une belle expérience de voyage, appris ce qu’est le cyclotourisme, qui est une autre manière de voyager : on est très proche des gens.

La triplette est à la fois un moyen de transport et de communication. Entre les trois cyclistes, c’est compliqué et exigeant ; et par ailleurs, cela attire les gens, retient l’attention, depuis les enfants jusqu’aux personnes âgées. Tu fais du sport, tu as donc l’impression que tes repas sont une récompense, que ce que tu partages avec les gens également. Physiquement, tu te sens bien car tu fais un effort bien au-delà de tous les efforts que tu peux faire habituellement. Je pratique beaucoup de sports… et je n’ai jamais souffert autant que sur un vélo.

Bonnes ou mauvaises, quelles anecdotes, quels souvenirs te restent encore à l’esprit ?

D’abord un lien fort entre nous trois, le sentiment d’avoir partagé une expérience très particulière, de très intime. Côté anecdote, quelque chose qui nous a fait peur. Quand on a commencé à voyager, on nous a informé de l’existence de faux policiers. On a donc préparé une tchatche, en prévision. Et justement, trois jours plus tard, on se retrouve au milieu de la campagne et une voiture nous arrête. Les mecs étaient armés, ils nous demandent de vider nos sacs, de montrer ce qu’on a… On avait préparé un discours : on a dit qu’on travaillait pour l’ambassade et qu’on travaillait à une reconnaissance des routes, pour faire des cartes pour l’Argentine… Les mecs nous ont cru et nous ont laissé tranquilles. Mais ç’a été un moment de stress.

Malgré ce (semi) mauvais épisode, cette expérience a donc été globalement bonne, puisque tu as réitéré plusieurs fois…

Oui, pour moi c’est devenu le meilleur moyen de voyager. Ce sont des vacances, mais à la fois tu fais un effort. Partout où tu passes, tu prends ton temps, tu vas dans des endroits où personne ne va. Parfois ce sont des endroits un peu ingrats ou pas très jolis, mais où les gens ne sont pas habitués à voir des touristes. Mais il y a aussi des endroits magiques, magnifiques, que la plupart traverse en voiture ou survole en avion. Le vélo est le meilleur moyen de transport parce que tu as le temps de profiter du paysage, de t’arrêter quand tu veux. Tu n’as pas la contrainte de l’essence. La seule contrainte, ce sont tes limites physiques… ainsi que les contraintes matérielles (réserves d’eau, de nourriture). Mais le vélo permet de s’approprier le lieu.

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Tu voyages toujours accompagné ?

Le deuxième voyage que j’ai fait, c’était avec une copine, sur la côte belge, durant deux semaines . J’ai voyagé en Bretagne, en Espagne, en Italie avec des copains… En fait, je ne suis jamais parti seul, sauf une partie de mon parcours au Mexique. J’ai toujours pu partager beaucoup avec la ou les personnes avec qui je partais. J’ai aussi pu découvrir beaucoup d’endroits, fait des découvertes de manière très simple, sans avoir besoin d’aller dans un musée ou des lieux touristiques… J’ai vu des lieux qui sont parfois très communs, mais qui se sont avérés des lieux importants dans le cadre du voyage.

Voyager à vélo, c’est voyager lentement. Peux-tu nous en dire plus ?

Le temps devient élastique, quand on voyage à vélo. Quand on a un travail chiant, le temps passe lentement. Mais en vélo, le temps devient long non pas parce que tu t’ennuies, parce que tu reviens à un rythme qui n’est pas celui que nous impose le système dans lequel on vit, le rythme qu’on nous impose (métro-boulot-dodo), cette routine. J’ai l’impression que même en vacances, les gens retombent dans une routine.

Je ne dis pas que le voyage n’est pas écrit. Quand tu voyages avec ton sac à dos ou bien à vélo, tu es dans un état où tu prépares ta journée (à manger, à boire, carte, destination), mais tu sais cependant que tout va être une surprise car tu seras l’acteur de ta journée. Il faut que tu sois très conscient, vif. Le temps est donc un peu plus long.

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Quand tu t’engages dans un voyage à vélo, le but c’est le plaisir sportif ou les rencontres, la découverte de lieux ?

A la base je ne suis pas cycliste ; le cyclisme c’est pas un sport que j’aime. Je suis plutôt foot et tennis, un peu de jogging de temps en temps. Mais c’est simplement que pour moi, c’est le moyen de transport parfait pour voyager. Le but, c’est surtout de partager avec des personnes que je n’aurais jamais connues sinon. Il y a aussi le goût de l’effort physique. Après tout, on a de belles routes, autant les utiliser, pas en traçant vite, mais en profitant de l’environnement offert quand on voyage : les routes, les gens, le paysage, prendre le temps de tout apprécier. Sur le vélo, on n’a pas grand chose à faire sinon ouvrir les yeux, les oreilles. Cela permet de s’approprier l’environnement.

Quels enseignements tu tires des rencontres lors de ces voyages à vélo ?

Il y a un échange très direct, très simple, jamais de rapport de force, ce qu’on peut ressentir quand on est blanc, Européen, ou d’un pays riche. Le vélo casse cette barrière. Les gens voient que tu as fait un effort : ils se disent que t’es pas arrivé avec la carte bleue pour flamber. Tu as fait un effort, tu es venu les voir, etc. Même si tu as de la chance de pouvoir te permettre de voyager à vélo, d’avoir le temps de le faire, même s’ils savent que tu as sûrement plus de choses qu’eux, ils se disent que tu prends le temps de connaître le lieu, de les connaître eux. Et puis, tu n’as rien à gagner, financièrement, à parler une heure avec quelqu’un.

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Les touristes et voyageurs, le plus souvent, cherchent de l’extra-ordinaire, du dépaysement. Toi, tu fais le contraire : quel est l’intérêt de chercher l’ordinaire, le quotidien tel qu’il est ailleurs ?

J’ai eu la chance de grandir parmi des gens normaux, ordinaires. Je viens d’un milieu bourgeois mais pas trop riche, et mes parents ont des valeurs humaines fortes. J’ai eu la chance de rencontrer tout au long de ma vie des personnes avec des valeurs fortes, quel que soit leur milieu social. Ces gens-là, je les ai rencontrés dans ma vie de tous les jours, dans un cadre ordinaire. En voyageant, tu as aussi cette opportunité.

Or, l’industrie du tourisme, telle qu’elle est, pose un rapport de force, lié à la thune. J’ai envie d’être en marge, à côté de ça. Ce type de voyage me permet ça. Par exemple, en Amérique du Sud, où il est fréquent de se voir demander de l’argent, notamment par des enfants, nous en deux mois, on nous a demandé une seule fois de l’argent, à Iguaçu. Nulle part ailleurs on n’est venu nous demander de l’argent. D’ailleurs, ce qui était marrant, c’est qu’on pouvait nous demander un truc sur notre vélo, comme le klaxon… On a pu par exemple troquer telle chose contre telle autre. On nous demandait telle chose en souvenir de nous. Un mec nous a réparé notre triplette ; il a dit qu’il voulait seulement une photo de nous, avec un petit mot. Le mec est super content et nous aussi. Maintenant, il a photo de nous dans son magasin de vélo ! Il ne nous a pas demandé un rond. Il n’a rien à gagner. C’est plaisant de sentir qu’on revient à ce type de rapport, qui se perd complètement. On sent qu’aujourd’hui, dans les relations, on essaie tout le temps de voir si cela va aider à se placer. Si, dans ton travail tu sors du cadre, tu peux être jugé, tu crains de le perdre, etc. Or, en voyageant, tout cela disparaît.

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Les barrières sociales s’effacent-elles aussi dans le cadre de ce type de voyage ?

Il existe des accents de classe, des distinctions de classe sociale qui se perdent quand on voyage. Quand je suis allé en Espagne, en Belgique, en Bretagne, je sentais que je parlais à des personnes de milieux populaires. Mais ils ne cherchaient pas à cerner de quel milieu je venais, et vice-versa. En Espagne, j’ai été accueilli chez un mec bling bling, mais j’ai aussi bien pu être accueilli chez des pauvres ailleurs. En voyageant à vélo, tu te montres aussi comme quelqu’un de humble.

Au début, en triplette, on s’est senti gêné car on nous donnait beaucoup de choses. Au Mexique, dernièrement, j’étais à une station service, où je faisais une pause. Je discute dix minutes avec un mec ; il rentre dans la boutique et me ramène des gâteaux. Ce mec-là, je ne pense pas qu’il était très riche. En voyage, la majorité des gens qui vont te donner des choses, t’aider, sont souvent ceux qui en ont le moins.

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Certains pays où tu as voyagé à vélo inspirent beaucoup de crainte, de peur. As-tu eu toi-même peur lors de ces voyages ? Qu’est-ce qui a posteriori te semblait justifier un sentiment d’insécurité?

Je n’ai jamais eu peur, mais les gens en Amérique latine sont très protecteurs, bienveillants… et ce sont eux qui font peur en exagérant le danger. Ici au Guatémala, on le voit : les gens généralisent tout à partir de la capitale. De toute façon, quand tu es à vélo, tu n’es pas une victime potentielle. On peut de te détrousser, peut-être, mais tu n’as pas grand chose : un peu d’argent, une carte bleue, un passeport… Au pire, on t’aidera !

Qui est-ce qu’on rackette ? En général, les gens qui montrent leur richesse : bijoux, belle caisse, etc. En voyageant à vélo, tu es à l’inverse de ça, car tu donnes une image de modestie, qui n’invite pas vraiment au vol. Concernant l’insécurité, il y en a plus selon moi dans certains quartiers de Lille ou certaines capitales d’Amérique latine, passée une certaine heure et dans certains quartiers. Il ne faut pas se laisser aller à la parano. Étant acteur de ton voyage, c’est à toi de faire attention, mais le monde n’est pas non plus un coupe-gorge à tous les coins de rue. Pour moi, le plus dangereux lors d’un voyage à vélo, ce sont les chauffards. J’ai, globalement, plutôt senti de la sécurité.

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Quels conseils pratiques donnerais-tu à ceux qui voudraient voyager à vélo ?

  • Aspect technique : un bon vélo, bien sûr. Dans certains cas, je loue le vélo sur place, parce que je pars pour deux semaines et qu’il est trop compliqué de l’emmener dans l’avion ;
  • Du bon matériel : des sacs spécifiques pour le vélo (ou des sac à dos accrochés avec des tendeurs), des sacs de couchage, des habits chaud, une tente, un réchaud ;
  • Des réserves de nourriture : conserves, gâteaux, pas mal d’eau ;
  • Des outils pour réparer son vélo, d’autant que dans certains endroits il n’y a pas d’autres solutions ;
  • Du matériel pour la pluie : pour se couvrir soi-même et pour couvrir le vélo ;
  • Bien réfléchir à son itinéraire, à la destination, se renseigner sur le climat : préférer l’été en Europe, la saison sèche dans un pays où il y a des pluies ;
  • Adapter l’itinéraire à ses capacités physiques : éviter la haute montagne, se rapprocher des côtes, surtout quand on commence ;
  • Évaluer la question de la barrière de la langue : je vais peut-être voyager à vélo en Europe de l’Est… où il n’y a sans doute pas beaucoup de gens qui parlent français, anglais ou espagnol, les trois langues que je parle. C’est plus sympa de pouvoir communiquer, d’avoir une vraie communication.

Et si on voyage à plusieurs, il faut le faire avec des personnes qui ont la même envie que toi, pas forcément des personnes identiques, mais qui ont du moins une même motivation, qui savent l’effort que signifie voyager à vélo.

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Il y a 6 commentaires

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  1. Istanbul

    Merci pour cette interview très enrichissante! Faire le tour de l’Amérique latine en vélo doit vraiment être une aventure exceptionnelle à vivre. C’est sûr que se déplacer en vélo à l’étranger permet de se rapprocher beaucoup plus facilement des populations locales.

  2. Mario Belley de Voyager à vélo

    Superbe article.

    Je ressens bien les valeurs retrouver dans les voyage à vélo. Le peu que l’on a besoin pour faire une réussite d’un voyage, les valeurs humaines partagées et le temps que l’on prends.

    Wow j’adore. Belle continuité

  3. Copenhague

    Très belle expérience. surtout que vous la faite à vélo. Je pense cependant qu’il ne faut pas oublier de bien s’équiper afin d’éviter des accidents et de se faire de gros bobos. À part cela, je confirme que c’est une belle aventure à vivre.

  4. Bertrand

    J’avais préféré ne pas lire cet article avant de publier le mien dans le cadre de l’opération « tourisme alternatif », pour ne pas influencer l’orientation de mon article :
    http://lebraquetdelaliberte.com/pourquoi-voyager-a-velo

    Mais en effet, de nombreuses idées se rejoignent. Il est intéressant d’avoir le témoignage de quelqu’un qui est arrivé au vélo sur le tas contrairement à moi qui suis né sur un vélo et qui est peut être moins insisté sur le côté récompense et bien-être psychologique que procure l’effort tant cela m’est naturel aujourd’hui.
    Joffrey parle du rapport au temps qui change. Là est toute la magie du voyage à vélo, le rapport au temps disparait. Vous ne portez plus le poids du passé, l’avenir vous est totalement égale, votre attention est totalement absorbé par votre environnement… vous vivez simplement l’instant présent. Les doutes, les peurs… toutes émotions négatives disparaissent. C’est l’art d’apprécier chaque instant de la vie. Et ne serait-ce pas là la définition du bonheur ? 🙂

    A bientôt.
    Bertrand.

  5. Foxy Lalégende

    Merci pour cet article, ce témoignage, sincèrement… Partir en vélo est un rêve pour moi, mais j’admets que la question physique de ce type de voyage et l’incertitude autour de la sécurité m’ont beaucoup freinée, d’autant plus que je suis une femme.
    Ce billet est très instructif et aide à relativiser !


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