C’est de l’encre turquoise des eaux de la Malaisie, où il grandit auprès de ses parents, qu’est colorée l’enfance de Jason deCaires Taylor, et du strident souvenir de ses coraux et de sa faune marine. De retour au gris Royaume-Uni, son imaginaire poétique cherche la satiété dans « des carrières de calcaire désaffectées, d’anciennes usines à papier et une ligne ferroviaire à l’abandon », qui prennent dans la catégorie de l’émerveillement le relais des récifs coralliens.
« J’ai toujours été fasciné », explique-t-il en introduction à la monographie consacrée à ses musées sous-marins (The Underwater Museum – The Submerged Sculptures of Jason deCaires Taylor), « comme la nature reprenait ses droits sur les environnements humains. Le temps et la vie végétale peu à peu érodaient nos traces et grignotaient les structures ». Adolescent, le voilà graffeur, « considérant les espaces publics comme des lieux pour communiquer l’art ». Assez logiquement, l’art qui commence à pousser en lui exige des cadres, un tutorat pour croître : Charles Baudelaire n’écrivait-il pas que « parce que la forme est contraignante, l’idée jaillit plus intense ! » Après 4 ans d’études sur l’art et l’environnement, en 1998, il sort diplômé en sculpture et céramique avec les honneurs.
Le monde adulte s’ouvre, avec les difficultés que connaissent beaucoup de jeunes artistes fraîchement diplômés. C’est le temps des petits boulots, laissant un peu de temps libre pour se dédier à l’art : il est paparazzo un temps, plus tard instructeur de plongée en Australie ; il construit des décors de films et de concerts… Pour finir, Jason s’achète un centre de plongée dans les Caraïbes, pour pouvoir se concentrer sur son art. Là, révélation : « j’ai été frappé, avec excitation, par le fait que la confluence de l’art et de l’océan était un domaine inexploré. J’ai vite réalisé que ma passion n’était pas l’enseignement de la plongée, mais la création d’un art qui serait propice à la vie marine ».
Itinérance géographique, cahots professionnels, expériences artistiques depuis l’adolescence révèlent alors toute leur fertile puissance : l’incohérence apparente révèle sa cohérence d’ensemble et le puzzle prend forme. Son bilan : « L’art de rue m’a donné la capacité de penser l’art comme une rencontre fortuite et temporaire (…). De même que le graffiti est effacé du train, de même mes sculptures sont-elles recouvertes par les algues. Les détails et les formes sont perdus à jamais, destinés à n’être rappelés que par des impressions photographiques (…). Depuis mon adolescence de tagueur, j’ai toujours connu la valeur de la bonne photographie pour enregistrer les moments fugitifs de l’art. Et, aussi étrange cela soit-il, mon expérience de paparazzo m’a donné les compétences dont j’avais besoin pour créer un journal visuel de mes œuvres. L’université d’art m’a donné les compétences techniques pour faire des moules et des armatures, comprendre les matériaux, et considérer différemment l’espace ».
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Mûr car riche d’une somme d’expériences fertile comme une terre longuement laissée au repos, Jason deCaires Taylor s’engage dans un projet d’envergure : mobilisant ses relations, s’entourant des personnes capables de porter à la vie son idée, il conçoit puis réalise un musée sous-marin de sculptures, dont la vocation sera de servir d’appui au développement de coraux, que deux ouragans successifs (Ivan en 2004, Emily en 2005), en plus du tourisme de masse et de l’industrie, ont contribué à endommager. En mai 2006, le rêve aboutit : le Musée sous-marin de Molinere Bay ouvre au public. Le caractère insolite de l’initiative et son emplacement dans un lieu très touristique apportent le succès qui conduira à renouveler l’expérience, cette fois au large de Cancún (Mexique), où un second musée sous-marin ouvre en 2009.
Jason deCaires Taylor a répondu à nos questions sur le tourisme (d’autres questions davantage orientées sur l’art et sur sa création en particulier étant ici hors de propos et voués à une publication sur un média spécialisé), que nous transcrivons ci-dessous.
On peut voir et interpréter vos sculptures sous-marines de façons diverses. Que voulez-vous au juste véhiculer avec cette combinaison troublante de sculptures humaines et de vie sous-marine ?
Je veux simplement montrer combien nous sommes petits et insignifiants selon la grande échelle des choses et mettre en lumière que cette nature qui reprend ses droits peut être l’un des plus beaux événements naturels. De défier nos notions du temps et de l’espace.
Comment ou dans quelles circonstances le premier projet de musée sous-marin a démarré dans la baie de Molinere ? Pourquoi à la Grenade ?
Je vivais sur l’île, où je travaillais comme moniteur de plongée. J’ai commencé à me sentir très désillusionné quant à l’industrie du tourisme et l’effet négatif qu’elle avait sur l’environnement. C’était un endroit suffisamment petit et j’ai commencé à me faire des contacts. J’ai décidé de me donner un an pour être artiste et c’est là que tout a démarré.
Il est assez évident qu’un tel projet ne peut être le travail d’un seul homme, mais qu’il s’agit d’un travail collectif. Quelle est, d’un côté, votre part personnelle dans le processus général et quelle est celle d’autres collaborateurs ? Quelle expertise, quel savoir-faire avez-vous nécessité (scientifique, artistique…) ?
Je suis très impliqué dans toutes les étapes du processus, depuis le concept, la recherche, la construction, jusqu’à l’installation et le travail consistant à documenter le processus [par la photographie, NDT]. Mais il est certain que ma pratique a pris de l’envergure au fil des ans et qu’il y a à présent davantage de personnel pour réaliser les diverses tâches. Ma connaissance scientifique est, à un certain stade, limitée ; j’ai donc tenté d’obtenir autant que possible la contribution d’experts marins. La plus grande partie du personnel employé est affectée à la réalisation des moules et au versement du béton, qui représente le travail le plus intensif.
Comment avez-vous obtenu le soutien financier pour faire de ces projets fous une réalité ?
Au début, ces œuvres étaient financées par moi-même. Mais, au fil du temps, j’ai été financé par des bourses gouvernementales, des dons de personnes privées et occasionnellement par le sponsoring de sociétés privées.
Ces musées caribéens sont-ils des travaux « en cours » ? C’est-à-dire : prévoyez-vous d’ajouter d’autres sculptures ? Ou bien peuvent-ils être considérés comme achevés ?
Ils sont « en cours ». « L’Evolution Silencieuse » est censée recevoir de nouvelles pièces au fil du temps, pour rendre compte des étapes successives de l’évolution corallienne. Une fondation est aussi censée encourager les artistes à contribuer avec des œuvres.
Cancún et la Riviera maya sont un lieu réputé, à échelle internationale, du tourisme de masse. Il est bien connu que le tourisme a détruit massivement les mangroves et les récifs coralliens, ce qui, en retour, a causé la destruction massive de l’ouragan Wilma en 2006. Comment le tourisme de masse peut-il être une opportunité pour créer non seulement une conscience environnementale, mais aider à régénérer ce qu’il a quasiment détruit ?
C’est un objectif très difficile à accomplir. Je ne suis, personnellement, pas fan du tourisme de masse et de nombreuses études de cas ont mis en lumière combien ce modèle n’est pas durable : à terme, une fois toutes les ressources de la zone exploitées, son unicité est épuisée et la génération suivante se déplace vers un nouveau site. Je suis inquiet au sujet du musée au Mexique, car il a été initié pour aider à détourner la grande masse de touristes des récifs naturels. Quoi qu’il en soit, si cela résulte en une augmentation générale du nombre de visiteurs dans la zone, je ne suis pas sûr que cela ait réussi. Certainement, sur un plan économique, y a-t-il des avantages, mais Cancún, par exemple, a de très faibles capacité de traitement des eaux, ce qui a conduit à la pénétration des eaux usées dans les zones de mangrove, avec des effets dévastateurs sur le système corallien, sculptures incluses.
Tout cela doit être pris en considération dans le plan général de gestion de la région. Je pense cependant vraiment que ce musée aide à combattre l’attitude « loin des yeux, loin du cœur » qui prévaut dans de nombreuses destinations populaires de la côte.
La progressive disparition des sculptures – c’est-à-dire de pièces d’art faites de main d’homme – sous le corail est dans la logique même du projet. L’intérêt de ces œuvres disparaîtra-t-il aussi à mesure qu’elles cesseront d’être visibles ? En un sens, le Musée sous-marin a-t-il une durée limitée en raison de son concept même ?
Le musée n’est pas censé être un jardin de sculptures statique. L’objectif à long terme est de l’utiliser comme plateforme pour y développer toutes formes d’art en rapport avec la mer. Ma vision, mon espérance est d’y voir des concerts sous-marins, des ballets, des installations lumineuses temporaires : en tant qu’espace créatif, les possibilités sont infinies.
Après toutes ces sculptures sous-marines, que prévoyez-vous de faire ? Continuer avec d’autres musées sous-marins ? (Si c’est le cas, où ?) Ou bien passer à quelque chose de tout-à-fait différent ?
Pour le moment, je travaille sur un tout nouveau projet de musée à Lanzarote, dans les Canaries, ainsi qu’à de nouvelles œuvres au Brésil et aux Bahamas, chacun de ces travaux ayant des objectifs différents. J’aime vraiment explorer de nouvelles possibilités scientifiques et les nouvelles pièces recourront à l’énergie solaire pour la lumière et seront à une échelle jamais vue auparavant.
Pour poursuivre
- Monographie consacrée aux musées sous-marins de Jason deCaires Taylor : The Underwater Museum – The Submerged Sculptures of Jason deCaires Taylor, éd. Chronicle Books, San Francisco, 2014 ;
- Site officiel de Jason deCaires Taylor ;
- Site officiel du Musée subaquatique de Cancún.
Crédits photo : Jason deCaires Taylor, qui nous a aimablement autorisé à publier ses photos.
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