Cancún : prononcez « canne-coune ». Mais, si l’embarras vous étreint à respecter la juste prononciation d’une langue étrangère (ou la paresse intellectuelle, ce qu’on pourrait nommer « symptôme Thierry Roland »), ayez la fantaisie douce de dire « Cancain » : cela fleure bon le bocage, quand bien même, en l’espèce, cette ville fleure en vérité plutôt l’huile de tiroir-caisse.
Avant la grande dévastation pour l’agrément des touristes du monde, Cancún se résumait à peu près à un village de pêcheurs, de la mer bleue, du sable blanc, de la jungle. A présent, c’est une sorte de Mecque à la gloire de Mammon où de partout confluent, en un Hégire de paresse, les esclaves du capitalisme mondial, venant chercher dans ce lieu où rien ne peut arriver, une diversion à leur vie où rien n’arrive jamais. Esclaves d’un emploi, d’une vie rythmée par les sonneries – ô sirènes, réveils, téléphones, métro –, d’un mode de consommation qui pour l’essentiel se résument à un empoisonnement, ils sont en outre esclaves d’un imaginaire de masse qui pousse à désirer ce qui leur est vendu comme un paradis et où, au total, on ne peut que ressentir – par intuition – ou divertir la vacuité de cette existence toc.
Cancain, qu’est-ce ? Apparue quasiment ex-nihilo à la fin des années 60, conçue pour siphonner les serfs du Capital transformés en « touristes » pour quelques semaines, Cancain ne manque pas d’arguments : une mer curaçao, des logements aux standards occidentaux et une nombreuse et jetable valetaille à la peau cuivrée, dévouée à leur agrément. Natürlich, le tout avec une souveraine indifférence à l’environnement écologique et social : dans la région, on aime les Mayas quand ils se donnent en spectacle ou quand on en parle au passé. Au présent, on ne les aime ici qu’en tant qu’asservis aux petits marquis du capitalisme touristique, comme leurs ancêtres l’étaient aux aristocrates et aux prêtres. Deux types de serfs du Capital qui sont bien loin de se donner la main pour lui faire la nique.
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Cons, sots, mateurs : ici est votre Mecque
Si la connerie est la décontraction de l’intelligence, comme l’énonçait Gainsbourg, le tourisme en est la nation – fédérale – absolue, avec ses capitales disséminées comme des métastases sur le globe entier. Tout comme la guerre est l’occasion de faire ailleurs ce qu’on ne peut faire chez soi, le tourisme participe d’une guerre économique mondiale qui produit ses plus puissants ravages chez les pauvres du monde, ces gueux du XXIème siècle. A la différence que, cette fois, ce ne sont pas tant des soldats qui vont étriper des villageois et violer des villageoises, mais des ingénus avides seulement de se dorer la peau… et, à l’occase, de se « taper une pute » (même mineure, tiens, pourquoi pas ? puisque là au moins on se fera pas emmerder par cette horrible chose qui fait entrave à la Liberté, nommée la Loi…). Délocalisation de l’abject humain, comme les industries délocalisent leurs déchets et leur exploitation ; comme l’on envoie ses restes aux pauvres : vieilles sapes, vieux médocs, vieilles tires & vieux bus… Le monde des perdants de la mondialisation vu comme un dépotoir matériel et moral, qui ne mérite que nos rebuts, que ce dont on ne veut pas chez nous. Zones franches de la moralité semblables à celles, économiques, où ne s’applique qu’une loi « light »… toujours au profit de ceux qui ont le blé.
De tout ceci Cancún est un symptôme. Tandis que Jason et Stacey font rôtir leur abondante couenne, leurs serveurs sont payés au lance-pierre et découragés de se syndiquer sous peine de finir sur une liste noire diffusée sur toute la Riviera Maya, territoire d’une centaine de kilomètres à peu près totalement dévolu au tourisme. Au fond, la Riviera Maya n’est qu’une grande mâchoire croquant la Caraïbe, ses mangroves et ses coraux, avec un grand sourire carnassier… dont chaque hôtel est une carie. Que l’on se représente plutôt : tandis que Jason et Stacey se grillent les jarrets en sirotant quelques sodas enrichi en additifs, sur fond de David Guetta, quelques Mexicains usés par l’exploitation et le désespoir de ne pouvoir jamais jouir de ce monde qui s’exhibe devant eux, se foutent en l’air. Cancún, capitale mexicaine du suicide : c’est ce que nous apprend cet excellent article de Rue 89. Confort maximum pour les touristes, clapiers à lapins pour les ouvriers mayas ; luxe, calme et volupté pour les premiers, exploitation, alcoolisme et misère pour les seconds. Ô mondialisation, ô modernité qui n’es qu’un archaïsme : ton avenir, c’est le passé, c’est le XIXème siècle, sinon la féodalité : la liberté, l’oisiveté et la bombance pour les forts, une fatalité de servage pour les faibles.
L’urbanisme Disney-Las Vegas
Et dans quels hôtels stocke-t-on ces cargaisons de touristes ? Représentez-vous ce que serait Saint-Tropez si elle avait été confiée à des urbanistes ayant sévi à Las Vegas ou Disney, et vous aurez une idée approximative de ce dont il s’agit. Des constructions obèses, atteintes de ce gigantisme prométhéen des Nord-Américains qui, les premiers, jetèrent leurs immeubles vers le ciel pour en déloger tout ce qu’il y a de grand : les Idées, la Beauté, les déités, leurs modernes tours de Babel modernes à la gloire de l’Hybris et de Mammon.
Cette folie verticale, ce refus du sol, de la terre, de l’ancrage, cette projection vers les hauteurs où l’on ne voit plus rien du sol : tout est dit dans ces constructions, de leurs concepteurs et de leur obsession égotique consistant à revendiquer « qui c’est qu’a la plus grosse » – fortune, tour, bagnole, qu’importe. Ce commun mal urbanistique, dont on ne mesure même plus de quelles cervelles surchauffées d’infatuation elles sont sorties, bouffit aussi Cancún. Et, à ces tours de l’Orgueil, répondent des cochonneries postmodernes piquant dans le répertoire de formes architecturales mayas pour donner un cachet « local » à leur camelote aux allures de Disneyland.
Ainsi, tel hôtel ou tel bar se trouve coiffé d’un toit de chaume évoquant les demeures traditionnelles mayas, tel autre affiche des frises évoquant le motif architectural des « grecques » de temples. Car, sur la Riviera Maya, on aime le « maya » quand il est un label touristique, ou un répertoire inerte et commercialisable de formes, de monuments – pas quand il est un être vivant ayant droit à la dignité. Souvenirs d’un double DVD envoyé par une amie ayant passé quelques semaines dans la zone – et perdu quelques places dans mon estime –, où des locaux se donnent en spectacle dans des simulacres de leur tradition qui évoquent autant le Puy du Fou qu’une version plus évoluée des zoos humains. Braves « sauvages » modernes que les touristes applaudissent de bon cœur, sans mesurer qu’ils perpétuent la destruction de ce patrimoine jeté en pâture à leurs yeux cons, sots, mateurs.
Ici est l’empire du faux, un paradis hors du monde des humains, éloigné de 6 kilomètres de la ville elle-même où vivent les vrais Mexicains. Bulle abstraite où tout n’est que parodie, paradis artificiel, paradis des artifices et des fesses, sans art. Jugez-en plutôt les noms des établissements qui, pour faire « couleur locale », arborent tous les mots attendus du répertoire « latino » et rappellent les heures les plus sombres de « Sur un air latino » de Lorie : « Casa Tequila », « Plaza la Fiesta », « El Sombrero – Too bueno to be true », etc.
Visiter Cancún, c’est comme entrer dans ce monde enfantin, ce Disney du tourisme, aux couleurs criardes de paquets de bonbecs, où toute votre morale d’adulte peut se ranger dans le placard de l’hôtel, et où enfin vous pouvez vous adonner à toutes vos pulsions et à tous vos caprices – comme le grand enfant que le capitalisme a fait de vous, en modelant vos désirs, vos aspirations, votre imaginaire en somme. Tout comme à Disney, où le visiteur se vautre dans la régression, le sucre et les costumes ridicules (quiconque a déjà vu en revenir les cargaisons de visiteurs, les yeux brillants, avec un gros ballon en forme de cœur ou un bonnet de Mickey ne peut qu’en sourire), Cancún n’en appelle qu’aux pulsions puériles : le gras, le clinquant et le bruit. Avec, bien entendu, les réponses marchandes idoines : ici un Starbuck’s, là un Pizza Hut, ailleurs un McDonald’s, un Hard Rock Café. Et une bonne louchée de bars conçus pour les pourceaux américains déferlant lors du Spring Break : « l’Internationale des pourceaux sera le genre Cancain ». Cancún, où la culture ne réside qu’à l’état de traces sans valeurs, comme un arbre émondé emporté par le fleuve, qui ne peut se raccrocher à rien ; malbouffe et alcool partout ; images de gros nibards pour allécher les blaireaux portant leur bite en sautoir.
Je veux bien être journaliste et assumer jusqu’à un certain point l’immersion gonzoïde sur des lieux aussi immonde, mais mes limites morales – et financières – ne m’ont pas autorisé à explorer la Riviera Maya dans son ensemble. Or, ce sont des kilomètres de littoral ravagé, privatisé, où l’accès à la plage et la mer est souvent payant, étant bloqué par des établissements privés. En fuyant cette Gomorrhe postmoderne, je regardais, par la vitre du bus qui roulait sur une route aux standards européens que l’on devinait faite pour les livraisons de touristes, ces nombreux resorts aux allures de Disneyland… ou du Neverland de Michael Jackson, cette autre fantaisie de l’éternelle enfance.
C’est que, après une telle épreuve, il ne restait qu’à fuir l’abjection. Et pour cela, direction un coin plus peinard : la lagune de Bacalar.
Pour poursuivre
- Le bonheur du tourisme « tout inclus » à Cancún
- Paradis pour les touristes, enfer pour les Mexicains ?
- Pis : une étude gravement sérieuse du Cetri sur le tourisme au Mexique
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Il y a 12 commentaires
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C’est de l’article !
De même, je suis pas fan…
On en vient, on est resté sans voix. On y était juste de passage…
Tout est totalement dénaturé, exploité jusqu’au dernier banc de sable. On a marché des kilomètres, sacs sur le dos, espérant que ce serait moins bétonné plus loin mais non, c’est bien tout le paysage qui a été façonné, c’est désolant.
Oui : la ville a été construite délibérément ex nihilo pour le tourisme. Il ne fallait dès lors pas en attendre des merveilles ! Mais comme on dit que le chemin se fait en marchant, la conscience du « bien voyager » se fait aussi en voyageant… et en visitant de tels endroits affligeants.
Merci pour votre commentaire et à bientost,
Mikaël
La conscience du bien-voyager se fait aussi en voyageant… Oui, entièrement d’accord, on a d’ailleurs établi une charte de l’éco-globetrotter en ce sens, si tu souhaites y jeter un oeil… http://www.enpleineere.fr/charte-eco-globetrotters/
(Et oui, à très bientôt, le Guatemala fait partie des pays que nous voulons découvrir, on espère que tu auras un moment à nous consacrer pour échanger…)
Bien entendu que j’aurai du temps, sapristi ! 🙂
J’irai jeter un oeil à votre charte ; maintenant c’est l’heure d’aller aux plumes.
Salutations.
Le vrai sens du mot « voyager » se perd, c’est bien triste et ça rebute. C’est comme aller retrouver dans un autre pays tout ce qu’on cherchait à fuir hoho…
Merci de partager tes réflexions, ça me permet d’avoir une idée plus précise sur ce que je veux.
Bonjour et merci pour votre commentaire. A défaut d’aider clairement sur ce que vous voulez, j’accepte votre merci pour le fait que l’article aide à y répondre, en partant de la base : connaître ce qu’on ne veut pas !
Je vous invite à lire cet article que nous venons de publier chez Mr Mondialisation et à parcourir nos articles : ils nourriront sans doute vos réflexions et vos projets de voyage.
A très bientôt,
Mikaël
J’ai justement trouvé votre article suite à celui de Mr.Mondialisation !
Merci encore, j’aime beaucoup ce que vous faites.
A bientôt.
Bonjour,
Article sans concession et il n’y a pas de raison d’en faire de toute façon car Cancun est bien ce que vous décrivez. Par contre, votre conclusion est un peu rapide en étendant votre impression sur toute la « Riviera Maya ». Cancun est ce qu’il y a de pire sur la côte Caraïbes du Yucatan mais on doit pouvoir trouvez des coins plus tranquilles avant d’arriver au Belize. Tulum était une super destination et même si je sais que il y a eu beaucoup de constructions ces dernières années, ça n’a rien à voir avec Cancun. Le site reste magnifique et à voir. Enfin, ça fait déjà 10 ans que j’y suis allé. J’y retourne ce printemps, et avec des mexicains, j’espère bien encore trouvé des endroits authentiques le long de cette côte. On évitera Cancun par contre, c’est sûr !
Bonjour Benjamin et merci pour votre commentaire.
La Riviera Maya ne s’étend pas jusqu’au Bélize. Elle abonde en complexes touristiques, mais il y a à coup sûr quelques vagues espaces non privatisés.
Personnellement je vous conseillerais plutôt d’aller vers Valladolid, puis au sud de Mérida de suivre la Ruta Puuc et visiter les cenotes.
Plus au sud, près de Bélize, allez donc à la lagune de Bacalar.
Cordialement,
Mikaël
Ayant vécu à Playa del Carmen, je dois avouer que la première fois que je suis allée à Cancun (hors aéroport), je croyais que j’allais détester, ça plutôt été le contraire…
En dehors du fait que la zona hotelera est vraiment réservée au tourisme (ça été conçu pour ça, Cancun n’a jamais prétendu vouloir être autre chose) et que tout ce que tu es décrit y est vrai, j’ai trouvé que les plages de Cancun sont vraiment les plus spectaculaires de la région! 🙂
La plage Delfines est gratuite et accessible à tous. Beaucoup d’espace, pas d’hôtels qui bloquent, une mer incroyable, un parc de jeux pour enfants (nous sommes une famille), de l’espace, bref…sublime. Pour nous, c’était l’endroit idéal pour le pique-nique du samedi après-midi.
C’est clair que si on veut fuir le tourisme de masse, Cancun n’est pas l’endroit où aller, mais pour le vacancier qui ne rêve que de fuir les -30 degrés de son pays pour quelques jours, sans trop se casser la tête, c’est une destination convoitée et facile d’accès en avion.
Mais tout comme toi, le style »Disney » et tapageur ne m’attire pas particulièrement.
Bonjour et merci pour votre commentaire.
Pour des raisons commodes (aéroport de départ de notre vol vers la France, 2 jours de trajets de bus de Huehuetenango à San Cristobal de las Casas, puis à Cancun), il est très vraisemblable que nous allions ma femme et moi rester une ou deux journées à Cancun ; certes, pas à la zone hôtelière, càd du côté où la vie touristique est à peu près normale et décente. Et il n’est pas exclu qu’on aille à la plage, en effet… Je crois n’avoir en effet jamais vu de mer aussi spectaculairement bleu curaçao.
Après des semaines de stress intenses de préparation de notre déménagement, papiers administratifs et préparation de mon retour en France/expatriation de ma femme, ça sera pas volé que de profiter peinard du soleil et de la mer… quand bien même j’aurais préféré retourner à Valladolid et ses cenotes avec ma femme.
Cordialement,
Mikaël